Anne-Marie, Blue Girl et hockeyeuse à 81 ans
Anne-Marie Demeester, hockeyeuse à 81 ans : “Pour arrêter le hockey, il me faudrait une raison valable”
À quelques semaines de son quatre-vingt-deuxième anniversaire, la Brabançonne wallonne Anne-Marie Demeester est l’aînée des joueuses belges de hockey toujours en activité.
À la lecture de la réponse à un message qu’elle avait envoyé l’été dernier à l’association royale belge de hockey (ARBH), la Jodoignoise Anne-Marie Demeester a compris qu’elle était désormais la doyenne des hockeyeuses en extérieur du royaume. “Félicitations, vous êtes effectivement la joueuse outdoor la plus âgée!”, précisait le courriel signé par Sarah Demolder, assistante de division au sein de la fédération.
Pour l’aînée de la discipline, la question de remiser ses sticks ne se pose pas vraiment, même si la bouillonnante octogénaire l’évoque une fois par an. “La plupart des joueuses jettent le gant vers la soixantaine, précise-t-elle. Pour ma part, je le répète à chaque fin de saison: cette fois-ci, j’arrête! En cœur, les copines me demandent alors de leur énoncer une bonne raison qui me pousserait à arrêter. Je ne sais que leur répondre, et donc je continue…”
Du haut de ses 81 ans, Anne-Marie Demeester poursuit assidûment la compétition, à un rythme bimensuel, pour défendre les couleurs ciel et marine du Royal Orée. “Je ne m’entraîne plus car c’est devenu trop loin de devoir chaque fois courir à Stockel, mais je joue les matches du lundi soir, tous les quinze jours. Je rejoins généralement une coéquipière qui m’attend à Overijse. Après la rencontre et la douche, nous partageons le repas dans les installations du club qui nous accueille.”
Évoluant aujourd’hui dans la catégorie des ladies, et ce depuis le milieu des années 1990, Anne-Marie a commencé sa longue carrière de hockeyeuse alors qu’elle avait 19 ans. “La sœur de mon papa, Fifi Demeester, était une brillante capitaine d’équipe à Jambes. Elle m’a suggéré de m’inscrire dans le club namurois. Dès septembre 1959, je me suis donc tapé Namur tous les samedis après-midi. Lorsque ma matinée de travail était terminée, je prenais le train à Bruxelles-Nord. Arrivée à la gare de Namur, on me chargeait en voiture. Je profitais du trajet jusqu’à Jambes pour enfiler ma tenue de hockey.”
Fille d’un ancien hockeyeur international
Fille d’une mère tchécoslovaque, Henriette, et de Léon, son père brugeois, Anne-Marie voit le jour à Uccle, au printemps 1940. Lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale, en mai, la petite famille déménage à Dilbeek. La fillette y restera une décennie, scolarisée à l’école des sœurs de la localité. Naîtront son frère Yves puis ses sœurs Jacqueline et Monique. Jeanne arrivera sur le tard, quatorze ans après l’aînée de la fratrie. “Papa était artiste peintre, il avait étudié à l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles avant sa mobilisation en 1939, évoque Anne-Marie Demeester. Il a aussi beaucoup joué au hockey, d’abord au Uccle Sport, puis au Baudouin à Dilbeek et au Country de Watermael-Boitsfort qui deviendra ensuite le White Star à Woluwe-Saint-Pierre. À leur époque, papa et ses frères ont joué dans l’équipe nationale belge de hockey. Il a arrêté dejouer à l’âge de 50 ans.”
La guerre terminée, Léon Demeester est engagé à l’usine Legrand à Vilvorde, une entreprise renommée internationalement pour ses productions de dentelles. Il fait ensuite construire un terrain à Grimbergen où s’installe la famille. “Je suis d’abord allée à l’école communale de Grimbergen, en néerlandais, avant de poursuivre mon cursus chez les Ursulines à Vilvorde. Cela a été la difficile période de la schoolstrijd (NDLR: la deuxième guerre scolaire) qui a fortement perturbé mes études. Dès 1957, je suis allée travailler pour aider mes parents. Et deux ans plus tard, je débutais le hockey…”
Jeune adulte, Anne-Marie Demeester rencontre son futur mari sur un terrain de hockey du Namurois. “Il habitait à Bouge, et moi toujours à Grimbergen, se souvient-elle. Il était extérieur droit et courait vraiment très vite. Nous nous sommes mariés après quelques mois et nous sommes installés chez ses parents. J’ai trouvé du travail dans la région et, pour la pratique du hockey, j’étais désormais sur place.”
Les aléas de la vie ont ensuite conduit la passionnée à aménager dans le Brabant wallon, à Orbais pour une quarantaine d’années puis dans le centre de Jodoigne où elle vit aujourd’hui depuis trois ans. “Je me plais beaucoup ici, j’ai tous mes enfants de cœur autour de moi. Ils sont adorables, je les aime beaucoup et je sais que c’est réciproque.”
Si la crise sanitaire a fortement limité les sorties sportives d’Anne-Marie Demeester, sa motivation n’a en rien été altérée. Sa retraite de hockeyeuse ne figure d’ailleurs assurément pas au programme de cette année nouvelle.
“Le hockey n’est pas réservé aux snobs”
“Quand j’étais plus jeune, j’entendais souvent dire que le hockey était un sport de snobs. Il est vrai que, venue de Grande-Bretagne au début du vingtième siècle, la discipline s’est développée au départ de jeunes gens de bonne famille qui voulaient pratiquer un sport différent du football jugé trop populaire. Nous ne sommes plus dans les années 1930. Pour moi, ce n’est pas du tout un sport de snobs.
C’est un excellent sport. Personnellement, le hockey m’a beaucoup aidé dans la vie. Il y a les soucis, les chagrins, et la pratique de ce sport m’a permis de vivre bien. Chaque samedi, j’allais me défouler sur le terrain et cela me procurait énormément de bien. Beaucoup de joie pendant et après les matchs, avec les copines.
Puis, il y a le hockey d’avant et celui d’aujourd’hui. J’ai joué sur gazon durant de nombreuses années. Aujourd’hui, ce sont des terrains synthétiques. Le jeu est très différent, plus rapide, il n’y a pas de comparaison. Je trouve que ce sont presque deux disciplines différentes. Cela reste un très bon sport, assurément accessible à toutes et à tous. Je conseillerais volontiers aux jeunes de choisir le hockey comme activité sportive enrichissante à de nombreux égards.”
Son petit-neveu chez les Red Lions
Dans les années 1930, le paternel Léon Demeester maniait abondamment le stick. “Mon père avait cinq frères et une sœur qui ont tous pratiqué le hockey. Ils ont commencé à Bruges puis ont atterri du côté de Bruxelles. Mon père et mes oncles ont aussi joué en équipe nationale”, précise Anne-Marie.
Fifi Demeester, la sœur de Léon et donc la tante d’Anne-Marie, occupait le poste de capitaine d’équipe à Jambes. “C’était une très grande joueuse, elle a évolué durant des années à la Rasante à Woluwe-Saint-Lambert. C’est elle qui m’a entraînée à jouer à Namur alors que j’habitais à Grimbergen…”
Dans les années 1970, Anne-Marie occupait les terrains aux côtés de ses sœurs Jacqueline, Jeanne et Monique. Après dix-sept années au sein du club namurois, elles ont continué leur parcours durant deux saisons au Dreams à Evere. “Avec ce club, je garde notamment le souvenir d’un mémorable tournoi à Londres. Nous nous y sommes amusées comme des folles. Nous avons pris le bateau à Ostende puis la voiture jusqu’à l’hôtel. Nous étions à peine installées dans notre chambre que nous entendions les Néerlandais dans le couloir, demandant où se trouvaient les Demeestertjes. Lors de la soirée qui a suivi le premier match, nous avions perdu ma sœur Monique. Nous l’avons retrouvée au bar où elle s’était fait offrir le champagne par un hockeyeur hollandais.”
Lorsqu’elles jouaient encore à Namur, les Demeester ont aussi constitué une équipe strictement familiale pour un match en déplacement. “C’était à Bruges et personne de Namur ne voulait y aller car les Brugeois ne se déplaçaient jamais chez nous. Pour éviter un score de 5-0 pour forfait, nous avons décidé d’y aller en famille, avec les sœurs et les cousines. Un beau-frère a pris son minibus pour nous véhiculer. Nous avons joué à huit contre onze et avons réussi le match nul 0-0.”
Au début des années 1980, les filles Demeester décident unanimement de changer de club pour rallier l’Orée, à Woluwe-Saint-Pierre. C’est là qu’Anne-Marie prolonge son interminable carrière sportive, à présent dans l’équipe des ladies.
Quant à la relève, elle semble plutôt bien assurée. “Maintenant, tous les petits-enfants jouent aussi. J’ai d’ailleurs un petit-neveu qui évolue en équipe nationale, en hockey indoor. Il s’appelle Philippe Simar et il joue vraiment très très bien. Je suis fière de lui”, conclut Anne-Marie Demeester.
Léon (2e en bas), le père d’Anne-Marie, en 1934 dans l’équipe de Bruges. Ses oncles Jacques (4e en bas) et Jean (6e en haut).
D’inoubliables troisièmes mi-temps
Parmi les exploits de leur équipe, Anne-Marie Demeester et ses sœurs ont vécu la montée de leur club namurois en première division. “En 1964, nous devions jouer un test-match contre l’équipe de la Banque nationale car nous étions à égalité de points. La rencontre s’est soldée par un 0-0. Pareil pour le match retour. Lors du troisième choc, ma tante Fifi nous a délivrées en marquant un stroke. Nos supporters ont enfin pu sortir les bouteilles de champagne qu’ils trimbalaient depuis plusieurs semaines dans les coffres des voitures!”
Anne-Marie Demeester a toujours connu des troisièmes mi-temps particulièrement animées. “On attendait d’abord que toutes les équipières adverses soient parties. Puis on commençait à casser du sucre sur leur dos, surtout si nous avions perdu. On refaisait le match en les critiquant allègrement. Quand on avait perdu, c’était forcément de leur faute car nous avions bien joué… Après, on commençait à boire nos petites bières. On allumait le juke-box pour mettre nos chansons préférées. On jerkait, on dansait, on rigolait, on se racontait des histoires. C’était génial, une ambiance terrible, avec aussi de bons supporters. On avait une équipe jeune et dynamique, avec de jolies filles.”
Certes différemment, les troisièmes mi-temps restent d’actualité. “Les après-matchs sont toujours là. C’est peut-être un peu moins foufou qu’avant car il faut faire plus attention pour la boisson. Il y a aujourd’hui davantage de voitures en circulation. Quand nous partions de Namur, il n’y avait plus rien sur les routes…”